samedi 3 mars 2007

Lettre ouverte à Mme Martine Simonis, secrétaire nationale de l'Association des Journalistes Professionnels (AJP)

Madame,

Je me permets de vous écrire afin d'attirer votre attention sur un article paru récemment dans un quotidien francophone qui m'a particulièrement heurté, plus par les méthodes utilisées que par le ton général du texte, et qui me semble constituer une infraction grave à la déontologie journalistique.

En effet, suite à l'affaire dite du quintuple infanticide de Nivelles, le journaliste Gilbert Dupont signait le 1 er mars dernier dans « La Dernière Heure – Les Sports » un article intitulé Tout le drame expliqué par la sœur de Geneviève. Dans cet article, le journaliste explique qu'il a annoncé lui-même « l'horreur » à la sœur de la meurtrière présumée avant de récolter ses déclarations à chaud. M. Dupont décrit d'ailleurs précisément l'état de choc qui s'en suivit chez la dame en question. Je cite un extrait : "(Elle) hurle, comme une bête. Quitte la maison, s'enfuit en rue. Il faut la rattraper, la convaincre de rentrer. »

Il retranscrit ensuite sans aucun recul les propos d'une personne qu'il décrit lui-même comme étant en état de choc. Sur base de ce seul témoignage, il se permet de jeter le discrédit sur le père des cinq victimes, de s'immiscer dans le passé familial de l'auteur présumée des faits et, pire encore, d'émettre une opinion sur la santé mentale de celle-ci.

Sans porter de jugement sur le fond de ces allégations, il me semble que la méthode utilisée transgresse explicitement – et, qui plus est, de manière revendiquée – les bonnes pratiques de la déontologie journalistique. En effet, si je me réfère au Code des principes de journalisme adopté par l'ABEJ, la FEBELMA et l'AGJPB, je constate que l'article 5 intitulé « Respect de la dignité humaine » stipule que :

« Les éditeurs, les rédacteurs en chef et les journalistes doivent respecter la dignité et le droit à la vie privée de la personne et doivent éviter toute intrusion dans les souffrances physiques et morales à moins que des considération touchant à la liberté de la presse, telle que définie à l'article 1, ne le rendent nécessaire. »

En provoquant lui-même l'état de choc chez un membre de la famille des victimes pour en tirer l'unique témoignage de son article, M. Dupont viole ouvertement l'art. 5 du Code. Cette pratique constitue une infraction grave à la déontologie et mérite, selon moi, d'être condamnée fermement par l'Association des Journalistes Professionnels. De telles méthodes ne relèvent pas du journalisme et ne peuvent pas être tolérées.

Puisqu'il n'existe toujours pas de Conseil de déontologie en Communauté française (contrairement à ce qui se fait au Nord du pays), je sais que seule une condamnation formelle et symbolique pourra être prise. Cependant, il est indispensable que la profession prenne clairement ses distances par rapport à de telles pratiques afin de permettre à la presse belge francophone et aux journalistes encore respectueux d'une certaine éthique de conserver un minimum de crédibilité.

Enfin, cet exemple, comme d'autres cas récents, rappelle à quel point il est nécessaire qu'un Conseil de déontologie compétent pour sanctionner les dérives journalistiques soit rapidement mis en place en Communauté française.

En vous remerciant d'avance des suites que vous donnerez à ma lettre, je vous prie, Madame, d'accepter l'expression de mes salutations les plus sincères.

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Pour plus d'informations sur les droits et obligations des journalistes : www.agjpb.be

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